Dans son Histoire Naturelle, Pline l'Ancien rapporte la naissance de la peinture : le bien-aimé de Dibutade, une jeune corinthienne, fille d'un potier de Sycione, va partir à la guerre. Elle profite de son sommeil pour tracer sur le mur, à l'aide d'un bout de charbon, le contour de son ombre pour pouvoir en garder le souvenir. À partir du récit légendaire de Pline et du multiple sens du mot du mot latin «filum», qui peut signifier intrigue tout autant que forme, Max imagine un récit où image et narration sont une seule et unique chose, où ce trait au charbon se déroule, se tend, se relâche et s'enroule comme un fil dans flux hypnotique et ininterrompu. Une plongée dans l'essence même du dessin, dans son sens primordial, que Max mène avec rigueur, virtuosité et humour.
Les pensées d'un mort errent au-dessus du Canal Saint-Martin. Les échos d'un destin absurde et cruel resurgissent. Charles, provincial monté à Paris, a en apparence tout réussi. Un travail, des maîtresses et une femme superbe, il accumule fièrement les succès. Tout va basculer le jour où débarque dans sa vie bien rangée son frère Serge, paumé et mal dans sa peau... Après un remarquable premier album, En série, paru en 2002 aux éditions Frémok, Aude Samama revient avec un livre qui confirme son goût pour les intrigues intimes et passionnelles. Dans la lignée de Breccia ou Mattotti, elle affirme une sensibilité unique empruntant les flammes de la peinture expressionniste pour transcrire des tragédies où plane l'ombre du désir. Simple et terrible, L'intrusion est un drame ardent qui vient confirmer une nouvelle voix dans la bande dessinée d'aujourd'hui.
Micol, la fille aux longs cheveux roux, et Rachid, l'immigré toujours habillé d'un maillot de foot, ont tous les deux vingt ans. Micol vit d'un boulot précaire et arrondit ses fins de mois en livrant des pizzas ; Rachid travaille au noir dans le bâtiment et ne s'en sort qu'en dealant du shit. Micol pense sans cesse à Rico, son grand amour perdu quelque part entre l'héroïne et les rues de Berlin. Rachid rêve d'un travail normal et d'une maison. Micol perd son job et Rachid, accusé d'un vol qu'il n'a pas commis, est renvoyé du chantier. C'est le moment des grandes décisions, le moment de partir, peut-être. Leurs chemins se croisent dans le phone center d'une banlieue morne, sous un ciel sans cesse traversé par les sil-lages blancs des avions. Bien que tout les oppose, le paradoxe auquel ils sont confrontés, la peur du départ et la nécessité de chercher ailleurs un futur meilleur, les rapprochera fatalement. Quelque chose va naître entre le clandestin et la chômeuse. Une amitié, une histoire d'amour, qui sait.
La toute dernière planche du premier volet de Cinéma Zénith avait laissé Anna, la protagoniste, seule devant l'entrée de la salle décatie du cinéma. Son dangereux périple pour rejoindre le centre de la vieille ville interdite n'avait fait qu'augmenter ses inquiétudes. Etrangère dans un pays hostile, en quête incessante de vérité sur ses origines, Anna errait d'énigmes en énigmes. Désormais prête à franchir le seuil, de nouvelles questions surgissent alors. Qui sont les « dieux » qui hantent ce lieu ? Quel genre de spectacles s'y déroulent ?Ce cinéma est-il le seul véritable endroit qui résiste à l'envahisseur étranger ?Et surtout : Anna parviendra-t-elle à déchirer le voile de ténèbres qui paraît l'envelopper ? Dans le deuxième épisode de son triptyque visionnaire, Andrea Bruno met en scène des personnages semblant issus d'une tragédie antique, qu'il appuie par son trait nerveux caractéristique, ici encore plus sombre et inspiré. Il façonne la matière et la lumière pour offrir de puissants contrastes, oscillant entre la profondeur des noirs et la pureté des blancs, dans la lignée d'univers dignes des oeuvres d'Andreï Tarkovski, Béla Tarr ou encore David Lynch.
Une jeune fille erre dans une cité ravagée par un tremblement de terre où se font face ses habitants insoumis et une mystérieuse armée d'occupation. Sa progression vers le centre ville, dont l'accès est interdit à toute personne, est rythmée par des apparitions, des rencontres inattendues et des incidents curieux. Dans une ambiance qui se fait de plus en plus inquiétante, elle se retrouve enfin face à la devanture de ce qui fut le Cinéma Zénith... Dans cette oeuvre en trois volets, Andrea Bruno revient aux thématiques qu'il avait développé dans Bouillon de Néant : la guerre, ou mieux, les conséquences de la guerre sur les personnes et les choses. Dans Cinéma Zénith, Bruno explore toutes les possibilités offertes par le récit fragmentaire : les images, puissants contrastes de noirs profonds et de blancs purs, se succèdent dans un flux ininterrompu, tels des photogrammes de court-métrages projetés sur l'écran d'un cinéma abandonné ; les textes, qui rythment l'histoire et suspendent ce flux pour un court instant, ne sont à leur tour que des fragments : les souvenirs de la protagoniste, les passages d'une lettre qui lui a été adressée, les courts paragraphes d'un hypothétique guide de la ville. Récit visuel par excellence, Cinéma Zénith dégage une force et une ambiance dignes du cinéma de Tarkowsky ou de Béla Tarr.
« Tu poursuivras la bête et la transperceras de ta flèche. Tu couperas sa tête, mangeras son coeur et boiras son sang. Elle t'apprendra à voir le vrai visage du monde ».Obéissant à l'oracle, l'homme se met à traquer l'animal, gibier capable de sustenter toute sa famille, toute sa tribu. S'enfonçant dans la forêt inhospitalière, nécrosée, le chasseur flaire sa pâture, perd sa trace puis la retrouve. La quête devient alors initiatique : la proie se fait guide, l'homme et l'animal, s'agrègent pour écrire, par-delà l'espace et le temps, leur tragédie commune.Dans ses précédents travaux de bande dessinée (Psychonautes) et de cinéma d'animation (Psiconautas, los niños olvidados et Decorado), Alberto Vázquez dénonçait les ravages de la pollution massive et la déshumanisation croissante de notre modèle social. Autant de métaphores dystopiques qui lui ont permis de mettre en évidence l'échec de la modernité, que la science et le progrès, ces mythes, ne peuvent désormais plus enrayer.Ces thèmes constituent de nouveau le coeur de La chasse, haletant récit de traque et de survie mêlant rites primitifs et initiatiques où Vázquez recompose le couple ancestral homme/ animal, lui seul qui pourrait endiguer la destruction du vivant. Tissées d'échos à l'art pariétal, à la peinture classique chinoise ou encore à l'expressionnisme sombre de Lynd Ward et Frans Maaserel, les pages de La chasse sont de plus émaillées de lavis saisissants. Le tout est mis au service d'une allégorie puissante à la poésie déchirante, qui incite à la réflexion.
Love & Rockets X est sans doute une des oeuvres majeures de Gilbert Hernandez ; pour la première fois, l'auteur développe son récit dans un lieu et à une époque facilement identifiables : Los Angeles à la fin des années quatre-vingt.Cette histoire aux multiples facettes et dans laquelle évoluent près de trente personnages, fait écho à Nashville, le film de Robert Altman tourné en 1977, pas seulement dans la structure mais aussi dans les intentions. Love & Rockets X se déroule juste avant deux événements emblématiques de la décennie : la Guerre du Golfe et l'affaire Rodney King qui hante déjà, comme des fantômes, le récit de Gilbert Hernandez.Love & Rockets X parle en effet des tensions, des conflits, des espoirs et des rêves d'une génération et dresse une sorte d'état des lieux des problèmes raciaux, sexuels et politiques de la société américaine. Dix ans après, la bande dessinée de Gilbert Hernandez n'a rien perdu de sa charge émotionnelle et de sa finesse dans l'analyse psychologique et sociologique des personnages comme des situations.
An 1847. Résolus a s'emparer de la Californie, les Etats-Unis déclarent la guerre au Mexique et en envahissent le territoire.Dans les rangs de l'armée occupante, un bataillon entier - le Saint-Patrick - prend la décision de déserter. Ses hommes - tous des immigre s irlandais, espagnols et polonais - ne supportent plus les discriminations, les violences et les exactions de leurs officiers yankees. Désormais, dans cette guerre meurtrière et injuste, ils vont se battre aux côtés des mexicains. Ils sont devenus les San Patricios.Dans la colonne yankee qui sans relâche poursuit les déserteurs, chevauche Rizzo, un jeune sicilien. Arrive au Nouveau Monde dans un bateau charge d'hommes et de femmes fuyant la faim et la misère, Rizzo s'est enrôlé en e change d'une promesse d'obtenir la citoyenneté et un lopin de terre. Devant le village de Churubusco, dernier rempart des rebelles, lui aussi va devoir choisir de quel côté se ranger.Churubusco surgit des plis - réels et imaginaires - de l'Histoire pour raconter la fin héroîque de l'impossible rêve de liberté des San Patricios. Le récit d'Andrea Ferraris - pétri de poussière et de sang - nous rappelle a chaque page que se dresser contre les abus et l'oppression est juste et nécessaire. Quel qu'en soit le prix a payer.
Un homme marche lentement, un livre à la main, le long des quais de la Seine. Ses pensées le portent loin, dans les montagnes du Titteri, à l'école française de la zaouia de Madala, enveloppée d'une dense fumée qui étouffe tout : le paysage, les hommes, les animaux. Dans l'école, que le feu consomme lentement, rôdent les hommes qui ont «détourné les fleuves du Livre vers les sources de l'Enfer». Sous le soleil masqué par un dense écran noir, ils effacent - au tranchant d'une lame de couteau - la vie, la parole, la mémoire.Dans les pages de La jeune femme et la mort, Nabile Farès sublime, dans un texte aux forts accents poétiques, le drame qui a gorgé de sang sa terre natale d'Algérie et stigmatise une violence qui frappe les hommes en leur ôtant non seulement la vie mais aussi la parole, la mémoire et la dignité. Kamel Khélif ajoute une nouvelle dimension aux mots, en charge et amplifie le sens. Mêlant la puissance du geste à la finesse presque calligraphique du détail dans une matière maîtrisée à la perfection, Khélif déroule, page après page, les fils d'un récit à l'exceptionnelle puissance évocatrice. À chaque case, La jeune femme et la mort plonge le lecteur dans un univers visuel riche et complexe où paroles et images donnent un nouveau sens au mot bande dessinée.
Au moment de sa première publication, en 1974, l’adaptation des Mythes de Cthulhu de H.P. Lovecraft par Norberto Buscaglia et Alberto Breccia fit l’effet d’une véritable bombe. Les critiques et la profession saluèrent unanimement le formidable bond en avant accompli par Breccia. Ce qui les étonna et qui étonne encore aujourd’hui, en permettant de classer les Mythes de Cthulhu parmi les chefs-d’œuvre de la bande dessinée, c’est la véritable débauche de solutions graphiques et d’expérimentations mises en œuvre par Breccia : pinceau sec, collages, utilisation de textures imprimées, tous ces moyens sont employés avec une surprenante liberté créative pour construire des nouveaux types de lumières et de matières. Parallèlement, Breccia développe un style différent pour chaque histoire, en passant avec aisance du réalisme à l’abstrait, pour coller le plus possible à l’atmosphère du récit. Son pari, pousser le lecteur à revivre les oppressantes atmosphères de Lovecraft, est pleinement gagné grâce à l’emploi savant de ces artifices, tant qu’aujourd’hui encore ces images dégagent une force inquiétante.Au délà de l’humilité avec laquelle les deux auteurs se rapprochent de l’œuvre de Lovecraft, ne modifiant pratiquement jamais le texte d’origine, le choix de Breccia et Buscaglia de baser tout le récit sur des larges « citations » sans presque jamais utiliser des dialogues, ne fait que centrer encore plus le travail d’adaptation sur le « rendu » graphique des atmosphères suggérées par l’écrivain. Plus de quarante ans plus tard, « Les Mythes de Cthulhu», restent un des plus lumineux exemples d’adaptation en bande dessinée d’un texte littéraire, sans doute la meilleure transposition de l’œuvre de Lovecraft et un des sommets de l’art d’Alberto Breccia.L’édition publiée par Rackham en 2004 (la première qui présente l’intégralité du cycle de Cthulhu) étant épuisée depuis longtemps, nous avons décidé d’en réaliser une nouvelle, dans un format différent et entièrement revue et corrigée, mais toujours imprimée en bichromie et en trame aléatoire pour rendre au mieux le formidable travail du Maître de Haedo.