Voici un ouvrage qui pourrait faire un cas d’école théorique : est-ce qu’un livre constitué d’un dessin par page, sans apparente continuité narrative, mais qui (malgré le fait que les protagonistes changent de visage) semble nous raconter quelque chose quand même, peut être considéré comme de la bande dessinée ? La bonne nouvelle, c’est que La Montagne de sucre est tellement au-delà de ces questions qu’elle les rend caduques. Sandrine Martin nous évoque, en autant de magnifiques petits tableaux au crayon, la ren-contre, les entrechats, l’idylle, la désillusion, la rupture. Parfois réalistes, parfois métaphoriques, oscillant entre le sublime et l’humour noir, Sandrine Martin nous offre tout simplement un extraordinaire livre sur l’amour.Ce qui, on en conviendra, n’est pas donné à tout le monde.
À l'événement de Willem président d'Angoulême 2014, L'Apocalypse se devait de répondre par un autre événement : la première publication en français du tout premier livre de Willem. En effet, Billy the Kid était paru uniquement en néerlandais, en 1968, peu avant l'arrivée de Willem en France et chez Hara-Kiri. Billy the Kid est donc totalement inconnu en France et cette traduction montrera que l'un des plus féroces satiristes de ces cinq dernières décennies était déjà d'une virulence sans appel durant ses jeunes années.Billy the Kid est le nom d'un simple soldat au sein d'une colonie américaine traversant une Chine à laquelle les U.S.A ont déclaré la guerre. Billy vagravir les échelons de cette troupe, qui avance avec un chariot (traîné par des esclaves noirs) dans lequel la Liberté, la Justice et Sainte-Marie se prostituent pour ladite troupe. Les mises en page du jeune Willem sont à la fois teintées du Pop Art de l'époque et totalement innovatrices pour la bande dessinée. C'est donc un « roman graphique » tant précurseur qu'incendiaire que le public français va pouvoir découvrir, tout en redécouvrant Willem à sa juste valeur.
Mazen Kerbaj est l'un des artistes les plus actifs de la scène alternative libanaise apparue au début des années 90, après la guerre civile. Abordant aussi bien la musique improvisée que la peinture ou la bande dessinée, il a publié de nombreux livres, en Arabe, en Anglais ou en Français, dont Beyrouth, juillet-août 2006 (L'Association), le blog d'une autre guerre. Le nouveau livre de Mazen Kerbaj est d'un tout autre registre. Somme de récits courts, tous différents par leurs sujets et leurs traités, au trait, en couleurs ou en monotypes, ces fragments abordent la poésie aussi bien par leur fond que par leur forme. Si les tréfonds sous-marins, la peur de la foule, le chagrin d'amour, la promenade sont présents, questionnant chacun à leur manière le langage de la bande dessinée, l'auteur propose aussi une ode à Beyrouth, sa ville natale, épingle les prédateurs du pétrole, ou préfigure en temps réel les désillusions du Printemps Arabe. Poésie rime donc ici avec Politique.Où l'on voit que Mazen Kerbaj n'est pas qu'un auteur libanais en guerre, mais un auteur tout court, et un auteur majeur.
Max, l'un des plus prestigieux dessinateurs espagnols, bâtit depuis plus de trente ans une oeuvre en évolution permanente. Depuis l'underground de la Movida et le Peter Pank de la revue El Víbora, à la ligne claire des années 80 jusqu'au Bardín le Superréaliste (L'Association), Max n'a cessé de se remettre en question et de se métamorphoser. Vapor est l'aboutissement actuel de ce parcours : dépouillé, minimaliste, métaphysique, c'est le livre d'un auteur qui a tout traversé.
Notoposs est le premier livre de Samuel Starck, né en 1988 et diplômé de l'école des Beaux-arts de Nancy. Notoposs ou « no topos » : l'absence de lieu. Voici une histoire qui s'invente de rien, sans autre espace que le blanc du papier et sans aucune préméditation. Ici, tout est improvisé, ni scénario, ni crayonné, ni cases ; Samuel Starck laisse l'histoire se fabriquer sous ses yeux, les personnages se métamorphoser, les narrations se superposer, tous courts circuits ouverts dans la double page. Notoposs est une expérience de bande dessinée live, qui entraîne son lecteur en spirale, dans une course sans fin où les préoccupations politiques et ésotériques ne freinent en rien l'auto-déroulement ludique des choses.
En bande dessinée, le récit de rêve est un exercice probablement encore plus périlleux que l'autobiographie. Avec cet imposant recueil de rêves, Rachel Deville réussit ce tour de force de proposer une transposition aussi personnelle qu'universelle d'une vingtaine de cauchemars tout aussi denses que narratifs. Son traité au crayon charbonneux, ses mises en pages dilatées et le minimalisme du personnage de la rêveuse font que nous accomplissons l'expérience rare de rentrer dans l'inconscient onirique et angoissant de son auteur. Peu d'ouvrages seront parvenus à marier ainsi rêve et bande dessinée, qui font pourtant bon ménage, depuis Le Cheval blême de David B, jusqu'au récent Rêveur captif de Barthélémy Schwartz.L'Heure du loup, réalisé à la Maison des auteurs d'Angoulême, est le premier livre en France de Rachel Deville, dont l'ouvrage Lobas était paru en 2007, directement en espagnol chez Sinsentido.
Geneviève Castrée, dessinatrice et musicienne d’origine québécoise, a auparavant publié des recueils de dessins et un livre-disque (Pamplemoussi) chez l’Oie de Cravan, des disques chez K records et des planches dans Lapin. Susceptible, qui paraîtra simultanément en anglais chez Drawn & Quarterly, est son premier projet de longue haleine : résolument autobiographique, elle y fait le récit de son enfance, enchaînant les saynètes dont la dureté contraste avec un dessin et des lavis tout en finesse.Ayant grandi au Canada dans les années 80 et 90, Geneviève décrit une relation mère-fille difficile, voire extrême, et comment à l’âge de quinze ans, elle décide de partir retrouver son père, punk anglophone parti dans la nature.Susceptible est un témoignage aussi fort que fragile sur la naissance d’une sensibilité artistique à fleur de peau, et une forte pierre à l’édifice de la bande dessinée autobiographique, où intime et exorcisme ne sont pas des vains mots.