«Est-ce encore de la bande dessinée?» C'est sans doute la question qui peut traverser l'esprit en feuilletant Parcours pictural.C'est bien évidemment à la limite du 9e art que se situe cet ouvrage, une bande dessinée abstraite, c'est-à-dire sans texte ni objet ambigu pouvant s'identifier à un personnage, un exercice de style formel aux accents oubapiens.Une oeuvre non-figurative qui correspond pourtant toujours à la définition que fait Scott McCloud de la bande dessinée: «images picturales et autres, volontairement juxtaposées en séquences, destinées à transmettre des informations et/ou à provoquer une réaction esthétique chez le lecteur.» Et, à travers ce travail non-narratif et purement visuel, c'est bien tout ce qui fait l'essence même de la bande dessinée et sa spécificité, «la séquentialité», que questionne ici Greg Shaw.«Est-ce encore de la bande dessinée?» Oui, bien sûr.
La Main droite, sous les influences croisées de la Bande Dessinée Abstraite, de Jim Shaw et de l’Oubapo, propose un récit quasiment dénué de dessins, tout en conservant la grammaire propre à la bande dessinée. Ainsi, cette histoire, que l’on pourrait résumer succinctement comme étant la rencontre inattendue de deux marginales, nous est racontée à l’aide de textes ( tantôt narratifs tantôt sous forme de dialogues ) soigneusement lettrés pour répondre ou faire écho à la situation à laquelle ils correspondent, et placés dans des cases qui se suivent… comme dans une bande dessinée « classique »… Des dessins viennent parfois ponctuer ou alimenter « l’action » et produisent, de par leur rareté, un effet d’autant plus fort. Néanmoins, La Main droite n’est pas uniquement un exercice de style, mais également une oeuvre touchante sur la solitude et l’amitié naissante.
Cot Cot, c’est un commentaire pertinent sur l’exode rural, un plaidoyer vibrant pour le respect de la vie, une analyse lucide des rapports Nord-Sud, une remise en question radicale de la dialectique hégé-lienne. Mais Cot Cot, c’est avant tout 32 pages de bande dessinée minimalistes et redoutables. Jugez plutôt : un fermier s’ennuie ferme. Il est envahi par les poules, son esprit vacille, c’est un homme malade que l’on voit là, un homme à bout. Et puis un jour voilà, une poule lâche le cot qui fait déborder le vase, et c’est le massacre… Ce récit d’Ibn Al Rabin ( scénariste de Les Miettes avec Frederik Peeters, inventeur de la bande dessinée abstraite ) est-il autobiographique ? Le fermier fera-t-il fortune grâce à une vache qui sait compter ? Allez savoir.
Quelques mois seulement après la sortie de Lose, voilà un nouveau recueil d'histoires signées Michael DeForge ; car il est urgent d'installer cet auteur génial et incontournable dans le paysage de la bande dessinée francophone !Du célébré Cerf tacheur au parodique Les Muscles de Peter, on retrouve ici certaines des obsessions de l'auteur, comme, en vrac : les cerfs, Snoopy, la maladie, le corps et ses fonctions – et si DeForge aime distordre la réalité, mélangeant un ton naturaliste et des événements fantastiques, c'est pour mieux révéler tout l'absurde et le grotesque qui gît-là, au plus profond de l'esprit humain.Les histoires se suivent ici sans se ressembler, passant du noir et blanc à la couleur, de l'expérimentation formelle à l’humour pur, avec en commun une vision du monde souvent désenchantée, voire désespérée, mais savamment contrebalancée par une inventivité formelle enthousiasmante, et un vrai talent d'écriture.Bref, En toute simplicité c'est 152 pages de bonheur, un trip hallucinant en forme de montagne russe, une immersion dans l'esprit ultra créatif de ce jeune prodige de la bande dessinée à la production pléthorique, et dont le talent maintes fois récompensé en fait l'un des auteurs d'Amérique du Nord les plus en vue du moment.
Lyle, Neville, Ellie Ecureuil et Omar l'araignée ont désobéi à Richard et le verdict est sans appel: ils doivent quitter la vallée, sans espoir de retour. En quittant la vallée de Richard et en se dirigeant vers la ville, le petit groupe va faire moult rencontres - bonnes comme mauvaises - alors qu'en parallèle le lecteur en apprendra un peu plus sur le charismatique mais despotique Richard.Sur près de 480 pages, Michael DeForge décrit une étrange odyssée à hauteur d'animaux, et par là même dynamite la bande dessinée animalière. Construit partiellement comme une enquête autour du mystérieux Richard, Par-delà la vallée de Richard décortique et met en lumière, non sans humour, les mécanismes sectaires qui mènent à la manipulation mentale, à l'asservissement et à la perte de liberté. Mais DeForge ne s'arrête pas là, et en confrontant les animaux à la ville, il dresse le portrait des grands centres urbains d'aujourd'hui (et plus particulièrement de Toronto, la ville dans laquelle il vit toujours aujourd'hui) : disparition des commerces de proximité et des lieux culturels, transformation et déshumanisation des quartiers, gentrification galopante, etc.Livre après livre, Michael DeForge construit une oeuvre parmi les plus intrigantes, surprenantes et originales de la bande dessinée contemporaine.
Une énorme star. Voilà qui est Miss D, une énorme star dans son domaine, à savoir la délinquance juvénile. Certes, elle est de moins en moins jeune, certes, il lui reste des fans zélés, certes elle compte bien se maintenir au top, mais la concurrence fait rage, et rester célèbre et adulée est un combat de tous les jours. Face aux médias, face à la compétition, elle doit accomplir un grand coup qui laissera le monde sur l'arrière-train.Dans Brat, Michael DeForge fait un pas de côté avec la réalité pour mieux taper sur notre petit monde, qui ne demande rien mais le mérite bien. Reconnaissance éphémère, surmédiatisation du vide, quête stérile de la célébrité, récupération commerciale (de l'acte de rébellion, de l'idée de révolution), jeunisme à tout crin, voilà ce que tacle Michael DeForge, à l'heure où l'attitude a plus d'importance que le sens, où l'image est partout mais ne veut plus rien dire.Enfant de la modernité mais pas dupe pour autant, Michael DeForge est une espèce de génie versatile, imprévisible et passionnant à suivre, trublion surdoué de la bande dessinée nord-américaine, dont le travail nous hante et nous obsède. Véritable mine d'idées et d'inventions visuelles, sans barrière ni limite, Michael DeForge prouve, à chaque nouveau livre, l'incroyable potentiel d'un art (la bande dessinée!) qui n'a pas encore tout dit ni tout montré.
Que donnerait un film de zombies tourné à l'époque du cinéma muet ? C'est bien à cette q uestion que répond Jason dans Des morts et des vivants.Sur le même mode narratif que Dis-moi quelque chose, l'auteur distille une love story désespérée sur fond de morts-vivants mangeurs de chair, le tout traité comme une comédie de Buster Keaton !S'il existait un panthéon dédié aux auteurs de bande dessinée, Jason aurait sans doute droit à une statue en or massif; en attendant cet avènement, vous pouvez toujours lire ses livres.
Chef d'oeuvre : voilà un mot bien galvaudé, mais amplement mérité par ce magnifique joyau noir qu'est L'Homme sans talent. Initialement publié en 1985 au Japon, traduit en français par Ego comme x en 2004, cette oeuvre emblématique du watakushi manga ( bande dessinée du moi ) n'était plus disponible depuis de nombreuses années. Les éditions Atrabile sont incroyablement fières et heureuses de pouvoir donner une nouvelle vie à ce livre qui mérite d'être lu et relu.Le personnage central en est un auteur de manga, intègre et jusqu'au-boutiste, qui refuse les compromis et les travaux de commande
A l'instar de Priape, son précédent ouvrage, Nicolas Presl plonge dans le passé et nous transporte dans une des pages les plus noires de l'histoire humaine en s'intéressant aux croisades et aux premières colo nies. En convoquant les figures (mythiques ou réelles) et les moments les plus sombres de l'Histoire, et en mettant en parallèle plusieurs moments qui ont vu se faire l'asservissement de l'homme par l'homme, l'auteur crée un fil c onducteur entre ces périodes où la barbarie fut érigée en système, avec comme point d'entrée les «divines colonies»...Preuve s'il en est que bande dessinée et Histoire peuvent produire des oeuvres passionnantes, bien loin des clichés d'embarrassantes collections façon Vécu.
On commence à le savoir : Ibn Al Rabin est un petit mariole. Qui plus est, il n’a peur de rien - on se souvient pour preuve de L’autre fin du monde, ouvrage qui avait fait son petit effet il n’y a pas si longtemps. Voilà donc le nouveau projet d’Ibn Al Rabin : des adaptations en bande dessinée de certains passages de la Bible ( sic ), dans lequel on trouvera le texte « original » mis en valeur par le trait incomparable de l’auteur et une mise en couleur qui va en laisser plus d’un sur le carreau. Cette « série » comportera un certain nombre de volumes, d’ailleurs deux autres adaptations sont d’ores et déjà terminées. Ces petits livres hautement indispensables nous vaudront-ils d’être excommuniés ?On l’espère bien…
On commence à le savoir: Ibn Al Rabin est un petit mariole. Qui plus est, il n'a peur de rien - on se souvient pour preuve de L'autre fin du monde, ouvrage qui avait fait son petit effet il n'y a pas si longtemps (et dont le premier tirage, certes modeste, ne devrait pas tarder à être épuisé, qui l'eut crû ?).Voilà donc le nouveau projet d'Ibn Al Rabin: des adaptations en bande dessinée de certains passages de la Bible (sic), dans lesquelles on trouvera le texte «original» mis en valeur par le trait incomparable de l'auteur et une mise en couleur qui va en laisser plus d'un sur le carreau. Cette «série» comportera un certain nombre de volumes, d'ailleurs deux autres adaptations sont d'ores et déjà terminées. Ces petits livres hautement indispensables nous vaudront-ils d'être excommuniés ? On l'espère bien...
L'Art, qu'est-ce que c'est ? A quoi sert-il ? Quelles sont ses limites, comment le définir ? Faut-il tenter de le classer, de le compartimenter ? De comprendre le processus créatif, le parcours d'un artiste ? Dans L'Art ?, Eleanor Davis répond à toutes ces questions... ou presque. Faux livre pédagogique mais vraie réflexion sur l'art et la puissance de la création, L'Art ? est un petit bijou d'humour et d'intelligence.Visuellement et formellement inventif, doté d'un humour pince-sans-rire imparable, L'Art ? embarque le lecteur dans une série de questionnements sur la création qui devient création elle-même, dans un tour de passe-passe plein de surprise et de malice. Eleanor Davis est une jeune illustratrice américaine qui partage son temps entre l'illustration et la bande dessinée ; la beauté de son trait allié à son amour de l'expérimentation en ont fait une des dessinatrices les plus accomplies de sa génération.
Depuis 2003, La Fabrique de Fanzines et ses ouvriers sillonnent les routes pour porterla bonne parole, celle du fanzinat et du DIY (do it yourself). Armés d'une photocopieuse, de bleus de travail et d'un bon esprit, les ouvriers de la Fabrique (Baladi, Ibn Al Rabin, Andréas Kündig, Yves Levasseur et Benjamin Novello) invitent le public (mais également des auteurs reconnus) à créer des fanzines, immédiatement reproduits et mis à la disposition de tous.Cette formule, inaugurée lors d'une exposition consacrée à Atrabile au festival de Sierre il y a 8 ans, a remporté un succès inattendu, et la Fabrique continue de se balader aujourd'hui par monts et par vaux, visitant aussi bien des festivals de bande dessinée et des foires du livre que des musées, des bibliothèques ou d'autres lieux plus surprenants. C'est cette expérience que narrent dans cet ouvrage les stakhanovistes de la Fabrique. De ce livre aux pages denses, et souvent très drôles, émane un enthousiasme communicatif.
Le Secret de la Momie ne se présente comme rien de moins qu'un recueil conséquent regroupant de nombreuses his toires courtes de Jason, parues ici ou là, et où l'auteur fait montre d'un humour absurde passablement réjouissant. On trouvera également en fin de volume toute une série de strips complètement inédits chez nous.S'il existait un panthéon dédié aux auteurs de bande dessinée, Jason aurait sans doute droit à une statue en or massif; en attendant cet avènement, vous pouvez toujours lire ses livre s.Le Secret de la Momie est également le premier volume d'une nouvelle collection chez Atrabile, la collection Fiel, consacrée justement à recueillir des histoires courtes parues ici ou là grave;. Cette collection sera la plus «libre» de notre catalogue, formellement parlant, puisqu'elle s'adaptera aux besoins des histoires recueillies. A suivre dans cette collection: un recueil d'histoires courtes de Frederi k Peeters.
Pour ce numéro un peu spécial, Bile noire passe à un format XL ainsi qu'à la couleur.On y retrouvera des gens que l'on connaît bien ici, comme Frederik Peeters, Manuele Fior, Peggy Adam, Pierre Wazem, Baladi, Kaze Dolemite, Elvis Studio, Ibn Al Rabin, Jason, Nicolas Presl, Florent Rupert & Jé rôme Mulot, François Olislaeger, et bien d'autres. On y verra aussi des pages de la québécoise Iris Boudreau, des américains Graham Annable et Anders Nilsen, du coréen Kim Su-bak et de Chihoi d'Hong K ong. Et puis encore : de la bande dessinée abstraite, et une revue dans la revue par Andréas Kündig, avec entre autres Manfred Nascher et Guillaume Long.Osera-t-on encore vous rappeler à quel point l'existence d'une revue comme Bile noire est nécessaire, et qu'elle a permis à bien des auteurs de faire leurs premières armes, ou tout simp lement à ceux-ci d'essayer des choses qu'ils n'auraient pas pu faire ailleursoe
Ted trimballe sa grande carcasse dégingandée à travers la ville dans un train-train aussi régulier qu'énergique ; métro-boulot-dodo certes, mais avec une énergie et une rigueur peu communes. Puis un jour, la mécanique se grippe et tout s'emballe, ce jour où le métro est en travaux et où les choses ne sont pas, plus, comme d'habitude. Et là, tout dérape... Émilie Gleason s'est fortement inspirée du vécu de son frère, diagnostiqué Asperger, pour raconter les bien étranges journées de Ted - rencontre, discussion, amour, sexe, empathie, tant de choses qui, pour Ted, ne vont pas vraiment de soi... Mais alors que la « bande dessinée du réel » a produit tant d'oeuvres lénifiantes n'existant que par leur sujet, Émilie Gleason, elle, transcende son sujet pour nous livrer un moment de lecture survolté, mené à cent à l'heure, plein d'inattendus et de surprises. Bien plus qu'un « reportage » ou un « témoignage », Ted est une véritable immersion dans un esprit pas vraiment commun et offre à l'arrivée une expérience de lecture rare, un tourbillon de couleurs et d'énergie, à l'image de son personnage principal.
Ça fait plus de dix ans maintenant qu'Ibn Al Rabin sème à tout va des pages dans de nombreux fanzines et revues, et il semblait pertinent de regrouper une grande partie de cette production plétorique dans un bon gros volume de la collection Fiel (dont c'est le but justement). Timides tentatives de finir tous nus est donc un recueil d'histoires courtes parues ici et là, et où l'auteur fait feu de tout bois: humour potache (mais de gauche), expérimentations narratives, chansons illustrées, roman photo, le tout dans le style minimaliste et redoutable qu'on lui connaît. Mises bout à bout, toutes ces pages prouvent à quel point Ibn Al Rabin a su creuser un sillon qui n'appartient qu'à lui, et démontrent également sa parfaite maîtrise de la grammaire propre à la bande dessinée.En confrontant ces planches éparses parues sur une dizaine d'années, on pourra également voir comment l'auteur a su faire évoluer son trait et son approche de la narration, se réinventant tout en restant fidèle à lui-même. On y lira donc une sélection de pages passablement rares, en noir et blanc et en couleur, le tout emporté par un ton et un humour versatile, parfois caustique, d'autres fois plus poétique, souvent absurde, et toujours ravageur.
« Singulier », « brillant », « une merveille », « drôle et cruel », « une relecture historique irrévérencieuse », voilà quelques-uns des qualificatifs et commentaires qui ont suivi la sortie de De la Chevalerie. Dix-huit mois après sa sortie, voilà le premier tirage épuisé... Dommage ! Atrabile propose donc une nouvelle édition du premier livre de Juliette Mancini (instigatrice du fanzine Bien, Monsieur) , en le basculant dans la collection « Bile blanche », lui conférant ainsi une fabrication sans doute moins fragile. De la Chevalerie nous emmène dans un Moyen Âge fantasmé où les hommes chassent les autruches à dos de cochons, un Moyen Âge qui est le théâtre ininterrompu de conflits entre le riche et le pauvre, l'homme et la femme, le seigneur et le gueux... On sent bien que Juliette Mancini est portée par une belle envie d'en découdre avec le monde qui l'entoure et plus particulièrement avec cette bonne vieille société patriarcale dont on a tant de mal à sortir mais De la Chevalerie est bien plus qu'une oeuvre à thèse ou qu'un pur défouloir, c'est avant tout une superbe bande dessinée bourrée d'humour et pleine d'inventivité. Et c'est avec une désinvolture qui n'est qu'apparente que la jeune auteure saisit à bras le corps son médium, jouant avec la forme, se débarrassant des cases ou les multipliant sur d'autres pages et questionnant, in fine, ce que l'on peut considérer de si chevaleresque chez tous ces « chevaliers ».
Tout juste une année après la parution du premier volume (Décrire l'Egypte, ravager la Palestine), voilà le deuxième épisode de cette « série » en tout point unique, épisode sous-titré ce coup-ci Décrire l'Empire ottoman autour de 1830. Pour rappel, Décris-Ravage est une adaptation en bande dessinée de la pièce éponyme d'Adeline Rosenstein, et comme dans le premier épisode, on retrouve ici la même volonté d'explorer les relations complexes qui lient Moyen-Orient et Occident, en allant piocher dans des entrevues et témoignages recueillis par Adeline Rosenstein elle-même, mais aussi dans « l'Histoire » (oui, celle avec une grande hache), ou encore dans le théâtre, la littérature et la poésie, dans le chapitre récurrent appelé chantier de traduction.Un pied dans les événements d'aujourd'hui, un autre dans ceux d'hier, Décris-Ravage est une oeuvre éminemment politique, mais qui ne fait pas l'impasse sur de vraies recherches (et questionnements) historiques - grâce, entre autres choses, au regard de l'historien Henry Laurens sur cette production. Et c'est avec une invention formelle sans cesse renouvelée que Baladi met le propos d'Adeline Rosenstein en images, ce qui termine de rendre ce projet complètement passionnant, dans le fond, comme dans la forme.
Bien plus qu'un trip nostalgique façon c'était mieux avant, Gilbert Hernandez se replonge dans ces années qui l'ont vu grandir et l'ont marqué à jamais, les an-nées 60. L'auteur délaisse alors les personnages de Palomar pour un récit partiel-lement autobiographique, où des enfants se croisent et s'amusent, se battent et tombent amoureux, exposent avec le plus grand sérieux leur passion pour la bande dessinée et les séries télé. Gilbert Hernandez nous offre une galerie de personnages aussi attachants que surprenants, de Lana le garçon manqué à Lucio l'hystérique, en passant par Suzy la mangeuse de billes et Huey le collectionneur compulsif de comics. Mais le vrai héros de ce livre est peut-être cette culture typiquement américaine, faite de comics de super-héros, de séries B et de cartes à collectionner, toutes ces influences qui ont nourri l'imaginaire du jeune Gilbert, et auxquelles il rend hommage dans cette Saison des Billes. Et si cette oeuvre est clairement redevable à une certaine époque, elle touche pourtant à l'intemporel, quand les dilemmes des enfants d'hier et d'aujourd'hui résonnent à l'unisson, quand la naïveté de l'enfance se confronte avec l'âpreté de l'âge adulte. C'est donc un livre généreux, drôle et touchant que nous offre ici le génial co-créateur de Love & Rockets, et sans aucun doute l'un de ses meilleurs.
Frederik Peeters est un animal insaisissable, et comme le prouve son parcours, jamais où on pourrait l'attendre ; Saccage, son nouveau livre, le démontre une fois encore. Saccage, voilà un ouvrage qui défie toute forme de définition, de classification : entre livre d'images et bande dessinée, Saccage dépeint une épopée pleine de tourments, celle d'un homme (prophète ? Héraut de l'apocalypse ?) qui traverse un monde dément, chaotique, baroque, où toute la folieet l'histoire de l'homme semble se télescoper, se mélanger, pour former un magma empli de visions fantasmagoriques, juxtaposant alors écho d'un enfer bien trop terrestre, jeu de références et fresque prémonitoire. Fable d'anticipation, allégorie hallucinée, Saccage se lit comme un poème graphique en forme de constat pour le moins amer et présente un monde en pleine déliquescence, sidérant comme un massacre, effrayant comme un cauchemar mais Saccage est bien plus qu'un délire visuel, c'est une véritable oeuvre coup-de-poing, incroyablement habitée par un artiste au sommet de son art et les dessins sans texte (mais pas «muets«!) de Frederik Peeters donne alors bien plus à lire que nombre de romans ou d'essais.Dans une bibliographie où le changement et le renouvellement font quasiment office de règle, Saccage pousse le bouchon encore un peu plus loin et ce livre unique (carrément !), joyau torturé et incandescent, marquera, à coup sûr, les esprits de tous les lecteurs qui oseront s'y aventurer.
Baladi découvre tout d'abord les Robinsons suisses sous forme de série télé durant les années 70, puis tombe par hasard bien des années plus tard sur le roman à la base de la série, roman écrit en allemand par un écrivain bernois, et datant du début du 19e siècle. C'est en jouant avec l'idée d'adapter ce livre (qu'il n'a toujours pas lu!) qu'il déniche alors la traduction qu'en a fait la Baronne de Montolieu. Mais la Baronne de Montolieu ne s'est pas contentée de traduire le livre, elle en a changé certains passages jugés trop moralisateurs, et a même écrit des chapitres supplémentaires au roman. Baladi va donc décider de s'atteler à une adaptation, mais en commençant par le chapitre 37 (le premier de la suite écrite par la Baronne, vous suivez?) et en se sentant très libre (comme la Baronne!) dans son adaptation. De la matière première, il va garder la situation de base (une famille suisse doit survivre sur une île lointaine suite à un naufrage) et le charme un peu suranné des histoires d'aventure à l'ancienne; mais Baladi va surtout malaxer, transformer, trahir et transcender cette matière pour en faire une bande dessinée à la portée évidemment politique. Il faut le préciser, la paisible famille suisse craint une confrontation avec de terribles sauvages qui semblent rôder, des sauvages que certaines caricatures montrent menaçants et dangereusement enturbannés...Au niveau graphique, Baladi s'est surpassé et propose un travail en couleur rare, mélange de découpages et de couleurs directes, et réalise ainsi certaines de ses plus pages. Le livre sortira peu avant le festival BDFIL, dont Baladi est cette année l'invité d'honneur (succédant entre autres à Zep, Blutch, Frederik Peeters, Anna Sommer, etc.).
On assiste depuis quelques années à un mouvement plutôt intéressant dans la bande dessinée (mais aussi dans la littérature et au cinéma) qui voit des auteurs délaisser les récits réalistes et l'auto-fiction pour se réapproprier certains thèmes et genres qui avaient été comme confisqués par de grosses «machines» commerciales ou des oeuvres formatées et sans imagination. Ainsi, Sascha Hommer, qui après deux récits ouvertement autobiographiques (Quatre Yeux et ... en Chine, tous deux chez Atrabile) nous revient avec La Forêt des araignées, un livre qui baigne ouvertement dans la fantasy et joue avec les codes et poncifs inhérents au genre.C'est bientôt le moment de lachasse pour ceux qui vivent sur les rochers. La chasse les amènera dans la forêt des araignées, à la recherche des Sylvestres, espèce de grosses limaces gluantes qui abritent dans leur mucus les Punkis, principale nourriture du peuple des rochers. Mais la présence des Yeux, démiurges géants et tyranniques, qui ont interdit au petit peuple l'accès à cette réserve de nourriture potentielle, rend la chasse dangereuse. Le seul espoir d'une vie paisible et plus juste serait, comme le prédit la Prophétie, l'avènement du Messager, qui pourrait libérer le peuple des rochers et le porter au-delà de la Grande Muraille, et vers le Royaume des nuages...Univers fantasque et fantastique, dessin tout en rondeur, personnages kawaï et sous-texte politique, La Forêt des araignées est donc une oeuvre hybride, un livre d'auteur mais aussi un récit d'aventure, un ouvrage qui vous transporte ailleurs mais qui refuse également de tout prémâcher et ose faire confiance à l'intelligence, et l'imagination, du lecteur.
« Bon, la dégaine du personnage, on verra plus tard... Pour l'instant je l'imagine vaguement avec ma tête, c'est plus facile... ».Oleg est dessinateur de bande dessinée. Son quotidien, depuis plus de vingt ans, tourne autour de ça: dessiner, raconter. Et tout ceci coule naturellement, jusqu'à maintenant, jusqu'à ces jours récents, où la création semble patiner, où les projets se succèdent mais la conviction n'est plus vraiment là - comme si quelque part, « l'influx était perdu ». Alors Oleg creuse, cherche et réfléchit. Autour d'Oleg, il y le grand et vaste monde, rapide, changeant, moderne, déstabilisant, inexorable. Ermite assumé mais observateur attentif, Oleg est le témoin malgré lui de ce monde en perpétuelles mutations, un monde qui amène son lot d'événements et de surprises, bonnes comme mauvaises. Et puis surtout il y son petit monde à lui: la femme dont il partage la vie depuis deux décennies, et leur fille, en pleine adolescence.Tout juste vingt ans après Pilules bleues, Frederik Peeters se raconte à nouveau mais troque le «je» pour le «il», et, en utilisant cet avatar qu'est Oleg, brouille les pistes et esquive le piège de la trivialité. A travers ces chroniques, tour à tour drôles, incisives, touchantes, voire surprenantes, il lève ainsi (partiellement) le voile sur son métier et son quotidien de dessinateur, et se faisant, pointe nombre de contradictions qui hantent notre époque: ultra-modernité technologique et pensée réactionnaire, culte de la superficialité et quête d'authenticité, surabondance et désarroi.Mais on pourra aussi, tout simplement, lire Oleg comme une belle déclaration d'amour que fait l'auteur à celles qui lui sont le plus proches - et comme un rappel, dépourvu de mièvrerie, que c'est cette force-là qui nous permet de sublimer le banal, et de tenir face à l'adversité.
C'est en 2003 que Pierre Wazem débute une correspondance dessinée avec son amie Louise Bonnet, qui a quitté les Studios Lolos (l'atelier dans lequel travaille Wazem) pour aller s'installer aux Etats-Unis. Dans cette correspondance, Wazem n'aura de cesse de rappeler à son amie pourquoi elle a eu tort de quitter les Studios Lolos, et va ainsi dresser le portrait de tous les gens qui se sont installés plus ou moins longuement dans ce meilleur endroit du monde. Wazem y évoque aussi, pêle-mêle, sa relation à l'alcool, la vie de famille, le mois d'août, sa reprise des Scorpions du désert, ou encore le décès de son ami comédien François Berthet - sans doute parmi les plus belles pages que l'auteur ait réalisées. Le tout forme un ensemble drôle et cinglant comme une vanne bien sentie, touchant comme un mot d'enfant, et frais comme une gorgée de bière.Comme un pendant solaire à Mars Aller-Retour (astre noir s'il en est), Chère Louise, est un vrai pur bonheur de lecture, jouissif et enthousiasmant de bout en bout.