Le Rêveur captif est un livre particulier réalisé par un auteur au parcours aty-pique. Principal animateur de la revue Dorénavant entre 1985 et 1990, Barthélémy Schwartz y inventait une nouvelle forme d'(ultra) critique, fustigeant l'idéologie bédé et le storyboard de la production BD dominante, au profit de recherches sur une bande dessinée poétique qui exprimerait plutôt qu'elle ne raconterait. Après avoir délaissé la bande dessinée pendant 16 ans, il renoue avec ce langage à l'occasion d'un dialogue avec JC Menu dans L'Eprouvette, Schwartz propose avec Le Rêveur Captif une cartographie des rêves obses-sionnels de sa jeunesse, et panorama de souvenirs et de réflexions sur la bande dessinée.Fidèle à ses références d'avant-garde, notamment surréalistes et situation-nistes, et grâce à une technique mixte mêlant dessin, photographie et effets graphiques, Barthélémy Schwartz nous livre une expérimentation des plus fruc-tueuses sur le langage du 9e Art et sur son apport atypique : Je passais pour un martien dans le monde sage et policé de la bande dessinée. Gageons que ce soit toujours le cas.
Avec La Bande Dessinée et son Double, sa thèse de Doctorat, JC Menu mettait à nu vingt ans d’explorations diverses, et analysait l’importance pour lui du fragmentaire et du polymorphisme. De cette remise à plat ne pouvait naturellement découler qu’un projet fragmentaire et polymorphe.Métamune Comix juxtaposera et entrecroisera donc tous les axes hétéroclites explorés par JC Menu dans le passé : l’autobiographie, la métafiction du Mont-Vérité, les chroniques musicales à la Lockgroove, l’expérimentation oubapienne, et divers fantômes qui ne demandaient qu’à revenir hanter le papier.L’ouvrage sera présenté comme la reliure d’un périodique imaginaire, un Mune Comix qui n’aurait jamais cessé de paraître depuis ses débuts en 1993. L’auteur et l’éditeur s’accorderont donc à tenter de faire exister ici un objet d’un type inconnu, et à y transmuter le langage de la Bande Dessinée en une forme de métaphysique populaire.
Le Livre de Léviathan mérite vraiment le terme d'ovni parmi les parutions actuelles de bande dessinée. Américain installé à Londres, Peter Blegvad est plasticien, musicien reconnu depuis les années 70 (avec Slapp Happy, Henry Cow, jouant avec Robert Wyatt, Fred Frith, Chris Cu-tler, etc), et actuel président de l'Institut Lon-donien de Pataphysique. C'est en autodidacte qu'il a abordé la bande dessinée dans les années 90 avec ce Léviathan qui fut d'abord un strip dans The Independent, où chaque semaine, Blegvad innovait à la manière des premiers maîtres du XXe siècle : on pense à McCay ou à Herriman plus qu'à un livre paru en Angleterre en 2000 et maintenant traduit en Français par Claro. Léviathan, bébé sans visage à l'imaginaire et aux raisonnements philosophiques insoupçonnables par les adultes (mais pas par le chat), est un prétexte à des variations thématiques et graphiques d'une audace rare, d'un humour insolite et d'une poésie confondante
En bande dessinée, le récit de rêve est un exercice probablement encore plus périlleux que l'autobiographie. Avec cet imposant recueil de rêves, Rachel Deville réussit ce tour de force de proposer une transposition aussi personnelle qu'universelle d'une vingtaine de cauchemars tout aussi denses que narratifs. Son traité au crayon charbonneux, ses mises en pages dilatées et le minimalisme du personnage de la rêveuse font que nous accomplissons l'expérience rare de rentrer dans l'inconscient onirique et angoissant de son auteur. Peu d'ouvrages seront parvenus à marier ainsi rêve et bande dessinée, qui font pourtant bon ménage, depuis Le Cheval blême de David B, jusqu'au récent Rêveur captif de Barthélémy Schwartz.L'Heure du loup, réalisé à la Maison des auteurs d'Angoulême, est le premier livre en France de Rachel Deville, dont l'ouvrage Lobas était paru en 2007, directement en espagnol chez Sinsentido.
Depuis le comix underground Grit Bath des années 90, le parcours artistique de la dessinatrice américaine Renée French s'est métamorphosé, évoluant vers un registre éthéré que l'on pourrait qualifier de visionnaire. Avec une technique au crayon gris d'une finesse redoutable, Renée French fait apparaître, à l'instar d'un Jim Woodring, des images incroyables venues d'on ne sait quel inquiétant au-delà. Quand elle renoue avec la bande dessinée, c'est pour questionner la narration, creuser une atmosphère, dilater le temps du récit comme dans The Ticking (Toile de fond, L'Association).Avec Céphalées, Renée French pousse encore plus loin son épluchage de la narration, se plaçant à l'extrême limite de la bande dessinée : l'enjeu pour l'auteur était de représenter ce que lui inspiraient les migraines chroniques dont elle était l'objet (le titre original de l'édition américaine de Picture Box étant H Day, de headache). Deux suites d'images évoluent parallèlement à gauche et à droite du livre, tentant la représentation, l'exorcisme, et la guérison des céphalées.
Mazen Kerbaj est l'un des artistes les plus actifs de la scène alternative libanaise apparue au début des années 90, après la guerre civile. Abordant aussi bien la musique improvisée que la peinture ou la bande dessinée, il a publié de nombreux livres, en Arabe, en Anglais ou en Français, dont Beyrouth, juillet-août 2006 (L'Association), le blog d'une autre guerre. Le nouveau livre de Mazen Kerbaj est d'un tout autre registre. Somme de récits courts, tous différents par leurs sujets et leurs traités, au trait, en couleurs ou en monotypes, ces fragments abordent la poésie aussi bien par leur fond que par leur forme. Si les tréfonds sous-marins, la peur de la foule, le chagrin d'amour, la promenade sont présents, questionnant chacun à leur manière le langage de la bande dessinée, l'auteur propose aussi une ode à Beyrouth, sa ville natale, épingle les prédateurs du pétrole, ou préfigure en temps réel les désillusions du Printemps Arabe. Poésie rime donc ici avec Politique.Où l'on voit que Mazen Kerbaj n'est pas qu'un auteur libanais en guerre, mais un auteur tout court, et un auteur majeur.
COMICSCOPE de David Rault - 50 portraits photographiques de personnalités de la bande dessinée et 50 autoportraits dessines par ces derniers ! Le livre sera présenté en avant-premiere lors du festival d'Angoulême 2013. Il sera également accompagné d'une exposition de tirages photographiques et de dessins originaux.
Notoposs est le premier livre de Samuel Starck, né en 1988 et diplômé de l'école des Beaux-arts de Nancy. Notoposs ou « no topos » : l'absence de lieu. Voici une histoire qui s'invente de rien, sans autre espace que le blanc du papier et sans aucune préméditation. Ici, tout est improvisé, ni scénario, ni crayonné, ni cases ; Samuel Starck laisse l'histoire se fabriquer sous ses yeux, les personnages se métamorphoser, les narrations se superposer, tous courts circuits ouverts dans la double page. Notoposs est une expérience de bande dessinée live, qui entraîne son lecteur en spirale, dans une course sans fin où les préoccupations politiques et ésotériques ne freinent en rien l'auto-déroulement ludique des choses.
Dark Country est la nouvelle bande dessinée de Thomas Ott, adaptation du film du même nom du réalisateur et acteur américain Thomas Jane, et basée sur une his-toire de Tab Murphy. Thomas Ott a eu toute liberté pour réaliserà sa manière la partie graphic novel du livre américain sur le film, histoire tellement dans le style et les obsessions du maître de la carte à gratter suisse, que le statut particulier de ce récit n'en fait pas vraiment une exception au sein de son oeuvre. Dans la droite ligne de Cinema Panopticum ou de 73304-23-4153-6-96-8, ce road movie haletant et cauchemardesque ne décevra pas les amateurs du dessinateur le plus noir de sa génération, et on pourra apprécier à quel point sa technique graphique et sa maî-trise de la lumière se sont encore affinées avec ce Dark Country.
Voici un ouvrage qui pourrait faire un cas d’école théorique : est-ce qu’un livre constitué d’un dessin par page, sans apparente continuité narrative, mais qui (malgré le fait que les protagonistes changent de visage) semble nous raconter quelque chose quand même, peut être considéré comme de la bande dessinée ? La bonne nouvelle, c’est que La Montagne de sucre est tellement au-delà de ces questions qu’elle les rend caduques. Sandrine Martin nous évoque, en autant de magnifiques petits tableaux au crayon, la ren-contre, les entrechats, l’idylle, la désillusion, la rupture. Parfois réalistes, parfois métaphoriques, oscillant entre le sublime et l’humour noir, Sandrine Martin nous offre tout simplement un extraordinaire livre sur l’amour.Ce qui, on en conviendra, n’est pas donné à tout le monde.
Geneviève Castrée, dessinatrice et musicienne d’origine québécoise, a auparavant publié des recueils de dessins et un livre-disque (Pamplemoussi) chez l’Oie de Cravan, des disques chez K records et des planches dans Lapin. Susceptible, qui paraîtra simultanément en anglais chez Drawn & Quarterly, est son premier projet de longue haleine : résolument autobiographique, elle y fait le récit de son enfance, enchaînant les saynètes dont la dureté contraste avec un dessin et des lavis tout en finesse.Ayant grandi au Canada dans les années 80 et 90, Geneviève décrit une relation mère-fille difficile, voire extrême, et comment à l’âge de quinze ans, elle décide de partir retrouver son père, punk anglophone parti dans la nature.Susceptible est un témoignage aussi fort que fragile sur la naissance d’une sensibilité artistique à fleur de peau, et une forte pierre à l’édifice de la bande dessinée autobiographique, où intime et exorcisme ne sont pas des vains mots.
François Henninger et Thomas Gosselin, tous deux par ailleurs auteurs complets, ont commencé ensemble ce feuilleton dans la dernière formule de la revue Lapin. Basé sur des faits historiques réels, agents doubles au sein des services secrets britanniques travaillant pour l'avènement d'une société communiste, l'intrigue et la manière de la raconter ne pourront néanmoins guère être pris comme classiques. Ces espions théorisent au-tant sur le prolétariat que sur l'homosexualité, le dessin oscille entre mini-malisme et extrême hachurage, les mises en pages sont d'une inventivité qui transforment cette fiction en prétexte. L'enjeu de cette bataille secrète devient celui de la bande dessinée dans laquelle nous sommes plongés, la désagrégation du signe correspondant à celle de l'univers connu. Que ce soit l'époque de la seconde guerre mondiale ou le monde d'aujourd'hui, Lutte des corps et chute des classes traite de la fin de l'Histoire, avec un humour et un modernisme rares.
À l'événement de Willem président d'Angoulême 2014, L'Apocalypse se devait de répondre par un autre événement : la première publication en français du tout premier livre de Willem. En effet, Billy the Kid était paru uniquement en néerlandais, en 1968, peu avant l'arrivée de Willem en France et chez Hara-Kiri. Billy the Kid est donc totalement inconnu en France et cette traduction montrera que l'un des plus féroces satiristes de ces cinq dernières décennies était déjà d'une virulence sans appel durant ses jeunes années.Billy the Kid est le nom d'un simple soldat au sein d'une colonie américaine traversant une Chine à laquelle les U.S.A ont déclaré la guerre. Billy vagravir les échelons de cette troupe, qui avance avec un chariot (traîné par des esclaves noirs) dans lequel la Liberté, la Justice et Sainte-Marie se prostituent pour ladite troupe. Les mises en page du jeune Willem sont à la fois teintées du Pop Art de l'époque et totalement innovatrices pour la bande dessinée. C'est donc un « roman graphique » tant précurseur qu'incendiaire que le public français va pouvoir découvrir, tout en redécouvrant Willem à sa juste valeur.