Le Livre de Léviathan mérite vraiment le terme d'ovni parmi les parutions actuelles de bande dessinée. Américain installé à Londres, Peter Blegvad est plasticien, musicien reconnu depuis les années 70 (avec Slapp Happy, Henry Cow, jouant avec Robert Wyatt, Fred Frith, Chris Cu-tler, etc), et actuel président de l'Institut Lon-donien de Pataphysique. C'est en autodidacte qu'il a abordé la bande dessinée dans les années 90 avec ce Léviathan qui fut d'abord un strip dans The Independent, où chaque semaine, Blegvad innovait à la manière des premiers maîtres du XXe siècle : on pense à McCay ou à Herriman plus qu'à un livre paru en Angleterre en 2000 et maintenant traduit en Français par Claro. Léviathan, bébé sans visage à l'imaginaire et aux raisonnements philosophiques insoupçonnables par les adultes (mais pas par le chat), est un prétexte à des variations thématiques et graphiques d'une audace rare, d'un humour insolite et d'une poésie confondante
Le Rêveur captif est un livre particulier réalisé par un auteur au parcours aty-pique. Principal animateur de la revue Dorénavant entre 1985 et 1990, Barthélémy Schwartz y inventait une nouvelle forme d'(ultra) critique, fustigeant l'idéologie bédé et le storyboard de la production BD dominante, au profit de recherches sur une bande dessinée poétique qui exprimerait plutôt qu'elle ne raconterait. Après avoir délaissé la bande dessinée pendant 16 ans, il renoue avec ce langage à l'occasion d'un dialogue avec JC Menu dans L'Eprouvette, Schwartz propose avec Le Rêveur Captif une cartographie des rêves obses-sionnels de sa jeunesse, et panorama de souvenirs et de réflexions sur la bande dessinée.Fidèle à ses références d'avant-garde, notamment surréalistes et situation-nistes, et grâce à une technique mixte mêlant dessin, photographie et effets graphiques, Barthélémy Schwartz nous livre une expérimentation des plus fruc-tueuses sur le langage du 9e Art et sur son apport atypique : Je passais pour un martien dans le monde sage et policé de la bande dessinée. Gageons que ce soit toujours le cas.
Notoposs est le premier livre de Samuel Starck, né en 1988 et diplômé de l'école des Beaux-arts de Nancy. Notoposs ou « no topos » : l'absence de lieu. Voici une histoire qui s'invente de rien, sans autre espace que le blanc du papier et sans aucune préméditation. Ici, tout est improvisé, ni scénario, ni crayonné, ni cases ; Samuel Starck laisse l'histoire se fabriquer sous ses yeux, les personnages se métamorphoser, les narrations se superposer, tous courts circuits ouverts dans la double page. Notoposs est une expérience de bande dessinée live, qui entraîne son lecteur en spirale, dans une course sans fin où les préoccupations politiques et ésotériques ne freinent en rien l'auto-déroulement ludique des choses.